Daniel Mann revisite les lieux du tournage de « Rambo III », dans le désert du Néguev, « loué » par l’armée israélienne à l’industrie hollywoodienne. Une pénétrante métaphore de la colonisation de la Palestine. 

Dans les années 1980, le futur réalisateur israélien Daniel Mann, comme beaucoup d’autres gamins de son âge, découvre avec excitation que Sylvester Stallone, auréolé de la gloire des deux premiers Rambo, s’apprête à débarquer dans son pays pour tourner le troisième volet de la série dans le désert du Néguev. Alors que la guerre fait toujours rage en Afghanistan, le film met en scène le ralliement du héros, venu sauver un ami de la CIA, au combat des moudjahidine contre les troupes soviétiques. Daniel Mann ne sait pas encore que ces terres arides et « vides », dont les Bédouins ont été violemment chassés au fil du temps, sont régulièrement proposées à l’industrie américaine du cinéma – contre une confortable rétribution – par l’armée israélienne, qui offre également en option l’usage de son propre armement. À la lumière d’archives déclassifiées de Tsahal et dans les pas de Bashir, un peintre, accessoiriste et militant bédouin qui travailla jadis sur le tournage, le réalisateur en revisite les lieux. Saisissante méditation par et sur l’image, son film sonde le rôle du cinéma dans la construction d’un imaginaire colonial du territoire, qui parachève et masque en même temps la dépossession méthodique des terres palestiniennes au profit de l’État hébreu. 

Pour rendre plus « afghan » le Néguev, et accréditer l’idée de hautes montagnes au sommet enneigé, la lumière du soleil fut parfois bleutée lors des prises de vue de Rambo III. Cette distorsion de la réalité pourrait paraître anecdotique mais Daniel Mann fait de son cheminement le long du « Rambo Trail » – devenu une destination touristique à part entière en Israël – un pénétrant outil de déconstruction. Grâce notamment au récit de Bashir et à la précision de sa mémoire, son film-essai dévoile derrière les truquages du blockbuster ceux que les vainqueurs infligent aux faits. Tous deux, témoin et réalisateur, font ainsi apparaître en creux l’histoire longue du conflit israélo-palestinien et sa représentation tronquée, qui prend soin d’effacer les voix des victimes et les traces de leur spoliation.

Documentaire de Daniel Mann (France/Israël, 2023, 1h19mn)
Disponible jusqu’au 24/03/2025