Des grandes vacances en Irak aux reportages de guerre, le journaliste Feurat Alani raconte la spirale du chaos qui a saisi le pays de ses parents. Entre petite et grande histoire, un documentaire poignant, dont les animations exaltent la poésie.

1989. Feurat Alani, 9 ans, s’envole pour l’Irak avec sa mère et sa sœur. La guerre avec l’Iran vient de s’achever et l’enfant, arborant une cravate bleue, découvre pour la première fois le pays de ses parents, sans son père, opposant à Saddam Hussein, resté à Nanterre. Accueil ému d’une centaine de membres de la famille à l’aéroport, goût inoubliable de la glace à l’abricot… : d’un Bagdad moderne et flamboyant au Falloujah provincial de ses oncles militaires, ce voyage initiatique le long de l’Euphrate sera suivi par d’autres, au cours desquels le garçon assistera, yeux grands ouverts, à la décomposition d’une nation d’abord soumise à la férocité de sa dictature. De l’invasion du Koweït aux bombardements américains, de l’embargo à l’impact délétère à la brutale occupation décidée par George W. Bush en 2003 après le 11 septembre, l’Irak sombre dans le chaos, qui ravage ses villes et ses campagnes, les familles et les âmes. Devenu reporter, Feurat, lui, s’installe à Bagdad dans la zone rouge – la verte étant réservée aux forces américaines –, pour couvrir, au plus près de ceux qui les subissent, « ces » guerres qui n’en finissent pas. Car le pays, emporté dans une spirale de violences, se fracture, entre sunnites et chiites, Arabes et Kurdes, troupes américaines appuyées par l’armée régulière et groupes djihadistes d’Al-Qaïda, qui formeront l’État islamique, jusqu’à la chute du califat. Sur un champ de ruines, les armes se taisent dans un silence de mort. L’idée même de l’Irak est à reconstruire…

Comment raconter de l’intérieur la désagrégation d’une nation ? Comment traduire le parfum des festins partagés et une vie quotidienne soumise à la terreur ? Entrelaçant avec virtuosité petite et grande histoire, le journaliste franco-irakien Feurat Alani livre un bouleversant récit intime, émaillé d’images d’actualités, qui rend la guerre, cette lointaine étrangère, étrangement palpable. Inspirée par les mille chroniques de son fil X (ex-Twitter), prolongeant la websérie documentaire éponyme et le livre couronné du prix Albert-Londres qui suivit (tous deux sortis en 2018), cette fresque, pétrie d’humanité et tissée de saillants instantanés, est une fois encore merveilleusement dessinée et mise en scène en animation par Léonard Cohen, ce qui en amplifie la force narratrice et la poésie. Mais cette version grand format touche aussi par l’hommage sensible au père de l’auteur, Amir, aujourd’hui disparu, qui la sous-tend. L’attachante et discrète figure d’exilé, dont les rêves de liberté pour son pays ont été broyés dans l’infernal engrenage, traverse, en gardien de la mémoire, ces décennies de tragédies dans l’ancienne puissance du Moyen-Orient. À la première personne, une page de l’histoire contemporaine où l’émotion surgit à chaque séquence.

Documentaire de Léonard Cohen (France, 2024, 1h36mn)
Documentaire disponible jusqu’au 17/09/2025