« Rien ne saurait désormais détruire ou effacer les grands principes de notre Révolution. Ces grandes et belles vérités doivent demeurer à jamais tant nous les avons entrelacées de lustre, de monuments, de prodiges ; nous en avons noyé les premières souillures dans de flots de gloire ; elles sont désormais immortelles… Voilà le trépied d’où jaillira la lumière du monde. Elles le régiront ; elles seront la foi, la religion, la morale de tous les peuples, et cette ère mémorable se rattachera, quoi qu’en ait voulu dire, à ma personne, parce qu’après tout j’ai fait briller le flambeau, consacré les principes et qu’aujourd’hui ma persécution achève de m’en rendre le Messie » (Napoléon, selon le Mémorial de Sainte-Hélène)…

Après la légende, noire ou dorée, le mythe procède du Mémorial de Sainte-Hélène publié en 1823. Le culte de Napoléon se fait religion du livre. On y lit l’union intime d’une parole survolant et semblant maîtriser le cours des choses et du discours d’un homme brisé, d’un héros vaincu et humilié. Au mythe prométhéen, il mêle le cynisme d’un chef sans illusion sur les hommes. Au démiurge de la modernité répond l’individu messianique issu du peuple. Du passé, Napoléon tire les leçons de l’avenir. Revenant sur ses erreurs, fort habilement avouées, il dégage le trajet d’un destin hors du commun.

Très vite, le romantisme prend alors en charge cette dimension mythique, consacrant l’Empereur comme incarnation de l’énergie et de la volonté (Balzac, la référence napoléonienne irriguant La Comédie humaine), comme modèle pour les jeunes hommes en quête d’accomplissement (Stendhal, Le Rouge et le noir, 1830), comme homme du siècle (Hugo, des Orientales de 1829 aux Misérables de 1862). Le mythe évolue selon les circonstances historiques et les débats idéologiques. Ainsi, se réappropriant le thème balzacien dans Les Déracinés (1897), Maurice Barrès va-t-il ériger Napoléon en « professeur d’énergie ». La dimension messianique, quant à elle, sera reprise et magnifiée par Léon Bloy qui, dans L’Âme de Napoléon (1912), voit en lui« le préfigurant de celui qui doit venir » et par Élie Faure (« Il est à part comme Jésus », Napoléon, 1921). Avec son Napoléon de 1927, Abel Gance fait accéder le cinéma à la hauteur du mythe.