Article | Ignatius T. Trebitsch-Lincoln, l’espion improbable

Qu’un jeune juif hongrois se convertisse puis s’établisse au Québec en tant que révérend, avant de se faire moine bouddhiste dans la Chine des seigneurs de guerre, voilà qui remplit déjà bien une vie.

C’est pourtant un résumé très grossier de l’existence de l’incroyable Trebitsch-Lincoln, laquelle serait matière à plusieurs romans hautement fantaisistes.

Les débuts d’Ignatius Timothy Trebitsch-Lincoln

Le jeune Ignaz Trebitsch naît au sud de Budapest, près de Paks en 1879, au sein d’une famille orthodoxe.

Son père, marchand, serait bientôt ruiné dans un crash boursier. En 1898, il renonce à la religion familiale et se fait baptiser. Accusé d’avoir volé un horloger, il quitte la Hongrie et s’installe à Montréal en tant que révérend Trebitsch, mais aussi comme missionnaire.

On le retrouvera comme membre d’une assez étrange société londonienne pour la promotion du christianisme auprès des juifs. De fait, il retourne bientôt en Angleterre où il devient prêtre dans la petite localité d’Appledore dans le Kent.

L’ascension en Angleterre

Il devient alors le secrétaire particulier d’un riche entrepreneur Quaker, Benjamin S. Rowntree, qui se trouve étroitement lié au parti libéral et notamment à Lloyd George.

Avec ces nouvelles relations politiques, Trebitsch-Lincoln se fait élire comme membre du Parlement (MP). Il s’éloigne de son mentor et commence à multiplier les voyages dans les Balkans et surtout en Roumanie où il entend lancer une affaire d’extraction pétrolière.

Mal lui en prend : le parti libéral lui interdit l’investiture aux élections de 1910, et ses créanciers le pressent.

Le déclin et la vengeance

À la suite d’une assez lamentable escroquerie du National Liberal Club, et après s’être vanté d’espionner au profit de l’Allemagne, il doit quitter le pays pour les États-Unis où il est cependant arrêté. Extradé en Angleterre en 1916, il y purge trois ans de prison et décide visiblement de se venger des Britanniques.

L’aventure en allemagne

Après sa libération, on le retrouve en Allemagne et plus précisément en Bavière où il participe au putsch de 1920 contre le gouvernement provincial mené par le très réactionnaire Wolfgang Kapp.

Dans l’éphémère gouvernement bavarois, il assure les fonctions d’attaché de presse auprès des journalistes anglo-saxons. Hitler, en tant que jeune sympathisant, est venu rejoindre Kapp et il est possible que les deux hommes se soient alors rencontrés.

Reste qu’au milieu des corps-francs nationalistes, le juif Trebitsch n’est pas en sécurité : à la suite de menaces, il repart en 1922, cette fois-ci vers la Chine.

La chine et le bouddhisme

Devenu conseiller militaire d’un seigneur de la guerre nommé Wu-Pei-Fu, il rejoint Shanghaï où il reprend contact avec l’antenne locale des services de renseignement allemands, dirigée par le SS Joseph Meisinger. Celui-ci le met vraisemblablement en contact avec ses homologues japonais.

Devenu espion à la solde des Nippons, il devient par ailleurs moine bouddhiste à la fin des années 20 (ou le laisse croire).

La fin d’une vie mouvementée

Par la suite, il revient de temps à autres jouer les gourous auprès de la bourgeoisie de la riviera française où, déguisé en moine oriental, il s’entoure d’une quarantaine de disciples. Mais c’est du côté de Shanghaï qu’on apprend sa mort en 1943, confirmée par la presse japonaise.

Sa vie a été racontée notamment par l’historien Bernard Wassertein.