Documentaire disponible jusqu’au 15/06/2025

En 1970, une vaste mission photographique s’emploie à dresser un état des lieux de la situation environnementale aux États-Unis. Quatre-vingt mille clichés, arrachés à l’oubli, présentent le même visage d’un paysage ravagé et d’une population insouciante face au drame qui se joue. Un formidable récit documentaire doublé d’une véritable claque visuelle et mémorielle.

Une maison modeste et un carré de jardin, à l’ombre des gigantesques tours d’une centrale nucléaire ; trois enfants qui se baignent derrière une inscription « danger », sur fond de paysage industriel enfumé ; les décharges à ciel ouvert des quartiers pauvres des grandes villes ; ou la languette d’une canette émergeant d’une dune immaculée. En 1970, le projet « Documerica » voit cent photographes livrer plus de 80 000 clichés sur la situation environnementale des États-Unis à l’administration Nixon, après deux catastrophes environnementales marquantes : une rivière pleine de produits pétroliers ayant pris feu dans l’Ohio et une marée noire sur les plages de Santa Barbara, en Californie. Le président Nixon n’a aucun goût pour l’écologie mais il a du flair politique : en plein pic de la « contre-culture », le sujet sera capital dans sa campagne de réélection. Mais après que son armada de photographes s’est déployée dans le pays, le projet est enterré et tombe finalement dans l’oubli.

Capsule temporelle

« On avait la technologie pour envoyer un homme sur la Lune, mais on était infoutus de garder nos rivières propres ! », s’insurge aujourd’hui Boyd Norton, l’un des photographes du projet « Documerica » interrogés dans le documentaire de Pierre-François Didek. Ce portrait géant des États-Unis des années 1970, tombé dans les oubliettes de l’histoire et finalement exhumé par le réalisateur, n’est pas sans rappeler le projet de la Farm Security Administration (Agence pour la sécurité agricole), qui documenta par le même procédé la manière dont vivaient les populations mises à terre par la Grande Dépression. Une troublante capsule temporelle, d’une grande émotion pour le spectateur d’aujourd’hui, qui ravive le souvenir d’une population captée sur le vif, dans ses habits du quotidien. Malgré la grande diversité des clichés, « Documerica » dévoile le visage d’une même société, indifférente au paysage ravagé qui est devenu la norme. Habilement, les images les plus frappantes du gigantisme de la pollution sont mises en parallèle avec la propagande consumériste des années Nixon, où pullulent les publicités pour l’American way of life d’une classe moyenne ayant explosé au sortir de la Seconde Guerre mondiale. On ne peut s’empêcher de se demander quel tour aurait pris le combat écologique si « Documerica » en avait été la pierre fondatrice, avec trente à quarante ans d’une précieuse avance sur la prise de conscience mondiale…

Documentaire de Pierre-François Didek (France, 2023, 59mn)