Article | Le dictionnaire : histoire d’un livre à succès

Le dictionnaire, cet outil que l’on ouvre aujourd’hui d’un simple clic sur notre téléphone ou ordinateur, a derrière lui une longue histoire fascinante. De l’Antiquité à nos jours, ce livre a évolué pour devenir un incontournable de la culture et de la connaissance. Sa fonction première a toujours été de rassembler et d’expliquer les mots d’une langue, mais son rôle social, culturel et intellectuel a souvent dépassé cette mission.

Comment est-il né, et pourquoi est-il devenu un tel succès dans l’histoire de l’humanité ?

Les prémices du dictionnaire : de l’Antiquité à la Renaissance

Les premiers dictionnaires sont loin des ouvrages encyclopédiques modernes. Ils apparaissent dans les civilisations anciennes, sous la forme de listes de mots. C’est dans la Mésopotamie antique, vers 2300 avant J.-C., que l’on trouve les premières traces de tablettes d’argile listant des mots et leurs synonymes, souvent dans un but pédagogique.

Les Grecs et les Romains ont également contribué au développement des dictionnaires. En Grèce, les œuvres d’Homère ont donné naissance aux premiers lexiques visant à expliquer les mots rares ou archaïques. Chez les Romains, le grammairien Verrius Flaccus rédige un des premiers répertoires alphabétiques connu sous le nom de De verborum significatu. Toutefois, ces ouvrages ne visaient pas encore à un usage populaire et restaient confinés à un public lettré.

Il faut attendre le Moyen Âge pour que le besoin d’ouvrages rassemblant des mots se fasse plus pressant. Avec l’expansion du christianisme, la traduction des textes bibliques et théologiques entre le latin, le grec et les langues locales crée la nécessité de compilations de termes, un rôle que les glossaires remplissent de manière embryonnaire.

Les premiers dictionnaires modernes : le XVIIe siècle

La Renaissance marque un tournant décisif pour la langue et le savoir. Le développement de l’imprimerie permet de diffuser plus largement les livres, y compris ceux traitant de la langue. C’est à cette époque que se multiplient les dictionnaires bilingues, essentiels pour traduire les œuvres de l’Antiquité ou les correspondances diplomatiques entre nations européennes.

Le premier véritable dictionnaire de la langue française est publié en 1606 par Jean Nicot. Intitulé Thresor de la langue françoyse, ce livre marque une rupture : pour la première fois, un ouvrage se consacre exclusivement au vocabulaire de la langue française. Bien que modeste en termes de contenu, avec environ 18 000 mots, le Thresor reflète un intérêt grandissant pour la langue comme vecteur d’identité culturelle.

Mais c’est le Dictionnaire de l’Académie française, dont la première édition paraît en 1694, qui va véritablement asseoir l’idée du dictionnaire comme un outil indispensable. Cette institution, créée par Richelieu en 1635, a pour mission de réguler et normaliser la langue française. Le dictionnaire qu’elle publie se veut normatif, fixant non seulement l’orthographe mais aussi les usages et les significations. Sa première édition compte environ 25 000 mots.

L’âge d’or : le XVIIIe siècle et l’Encyclopédie

Le XVIIIe siècle marque un véritable âge d’or pour le dictionnaire, non seulement en tant qu’outil de langue, mais également comme outil de savoir global.

C’est dans ce contexte que naît la célèbre Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, publiée entre 1751 et 1772. Bien qu’elle dépasse le simple dictionnaire de langue, cette œuvre monumentale en 35 volumes, dont 11 de planches, s’appuie sur la structure alphabétique du dictionnaire pour organiser le savoir universel.

Ce siècle est également marqué par des projets de dictionnaires dans d’autres langues européennes. En Angleterre, Samuel Johnson publie en 1755 son A Dictionary of the English Language, un travail titanesque qui va influencer durablement la lexicographie anglaise. L’Italie voit aussi la publication du Vocabolario degli Accademici della Crusca dès 1612, tandis que l’Espagne suit avec le Diccionario de la lengua española de la Real Academia Española (RAE) en 1780.

Le XIXe siècle : l’industrialisation du savoir lexicographique

Au XIXe siècle, les dictionnaires deviennent des ouvrages de plus en plus volumineux, fruits du travail de lexicographes passionnés et méthodiques. L’industrialisation et la scolarisation de masse favorisent la diffusion de ces ouvrages qui ne sont plus réservés aux élites.

C’est aussi l’époque des grands projets lexicographiques. En France, Pierre Larousse publie son fameux Grand dictionnaire universel du XIXe siècle entre 1866 et 1876. Cet ouvrage, encyclopédique dans son ambition, dépasse le simple dictionnaire de langue et devient une véritable référence de culture générale.

En Angleterre, c’est la création de l’Oxford English Dictionary (OED) qui marque l’histoire. Lancé en 1857, il faudra 70 ans pour en voir la première édition complète publiée en 1928. Ce projet monumental se distingue par sa méthode scientifique et rigoureuse de collecte des citations illustrant l’usage des mots à travers les siècles.

En parallèle, des ouvrages plus pratiques voient le jour. Les dictionnaires Larousse, en France, se popularisent et se déclinent en formats accessibles à tous, avec le Petit Larousse illustré qui devient un best-seller à partir de sa première édition en 1905.

Le XXe siècle : le dictionnaire, un outil universel

Le XXe siècle voit l’explosion du dictionnaire sous ses formes les plus diverses. Il ne s’agit plus seulement de dictionnaires de langue ou encyclopédiques. Les dictionnaires se spécialisent : dictionnaires des synonymes, des expressions idiomatiques, des antonymes, des difficultés de la langue, etc.

L’essor des sciences et des techniques entraîne aussi la création de dictionnaires spécialisés dans des domaines précis, comme le droit, la médecine, ou encore la biologie.

C’est également à cette époque que le dictionnaire devient un objet universel, pénétrant tous les foyers grâce à l’éducation de masse. Le dictionnaire scolaire, souvent plus simple et condensé, accompagne chaque écolier, alors que des ouvrages plus complets trouvent leur place dans les bibliothèques familiales.

Le tournant numérique : vers un dictionnaire dématérialisé

Avec l’arrivée d’internet et des technologies numériques dans les années 1990 et 2000, le dictionnaire connaît une nouvelle révolution.

D’abord simple outil consultable sur CD-ROM, il devient rapidement accessible en ligne. Les géants de l’édition, comme Larousse ou Oxford, se mettent à proposer leurs dictionnaires gratuitement sur leurs sites internet. D’autres projets, comme Wiktionary (le dictionnaire collaboratif de Wikipédia) ou encore WordReference, permettent des consultations de plus en plus rapides et diversifiées.

Cette dématérialisation présente de nombreux avantages : le dictionnaire en ligne est constamment mis à jour, inclut des fonctionnalités de recherche avancée et peut contenir des exemples d’usages, des traductions, des synonymes et même des prononciations audio. Ce format a grandement popularisé l’usage du dictionnaire dans les tâches quotidiennes, simplifiant et accélérant l’accès à l’information.

L’avenir : intelligence artificielle et personnalisation

Aujourd’hui, le dictionnaire continue d’évoluer avec l’avancée de l’intelligence artificielle (IA). Des outils comme ChatGPT, développés par OpenAI, peuvent désormais répondre à des questions complexes sur la langue, offrant ainsi un accès encore plus fluide au savoir lexical. Les dictionnaires sont en voie de se personnaliser, en s’adaptant aux habitudes linguistiques des utilisateurs et à leurs besoins spécifiques.

L’intégration de l’IA dans les logiciels de traitement de texte ou les moteurs de recherche permet de proposer des définitions, corrections et suggestions lexicales en temps réel. L’ère des dictionnaires est loin d’être révolue : elle entre dans une nouvelle phase où le savoir linguistique est plus dynamique et accessible que jamais.

Conclusion

Le dictionnaire, bien plus qu’un simple recueil de mots, est un reflet de la culture, de l’histoire et de l’évolution des sociétés. Il a su se réinventer au fil des siècles, passant de l’objet manuscrit et rare à l’outil numérique disponible en un clic. Si son format et ses usages ont changé, sa mission fondamentale – offrir un accès organisé et compréhensible à la langue et au savoir – demeure, faisant de lui un véritable succès de l’histoire de l’humanité.