Célébré pour la singularité de son œuvre cinématographique, Pier Paolo Pasolini était aussi un polygraphe qui intervenait sans relâche par le texte et l’image pour rendre visible la violence de son monde contemporain. Le 2 novembre 1975, Pier Paolo Pasolini est retrouvé battu à mort sur une plage d’Ostie. Fait divers sulfureux et affaire criminelle irrésolue, sa fin le fait connaître en dehors de l’Italie comme jamais. Elle oriente aussi l’imaginaire lié au personnage : poète et cinéaste maudit, quinquagénaire homosexuel en prise avec ses désirs illicites qui ont fini par avoir sa peau. Pourtant Pasolini n’est pas un marginal, loin de là. Intellectuel médiatique, il est lu et réputé pour ses critiques littéraires et cinématographiques avant même de passer derrière la caméra à quarante ans passés. Son assassinat l’enferme dans le cliché d’un homme solitaire, ce qu’il n’est pas non plus. Ses nombreuses amitiés font tout autant partie de sa vie et de son œuvre, des amitiés entretenues, des collaborations nombreuses avec entre autres Fellini, Bertolucci et bien sûr Moravia. Au moment de sa mort, il dénonçait avec la plus grande verve dans la presse les collusions entre la mafia et la démocratie chrétienne, une inimitié avec le pouvoir en place qu’il avait fini par payer cher même après sa mort : le procès de son assassin se transforme en procès de la victime, c’est Pasolini que l’on jugera et mal. Parce que l’affaire est politique dans une cruelle fidélité à son regard sur le monde : Pasolini faisait de la politique et parlait de politique dans tous les arts qu’il a fréquentés et ils étaient nombreux. Une pensée politique originale, parfois indéchiffrable, voire incompréhensible tant lui qui prônait l’émancipation avait réussi à se mettre à dos les féministes et les étudiants révoltés de Mai qui l’attendaient pourtant à leurs côtés.
Si son œuvre cinématographique fait date, elle n’est pas d’un abord facile, la violence, les scènes d’humiliation insoutenables de « Salò », son tout dernier film sorti en salles après sa mort mais censuré en Italie, la recherche d’une rédemption des oubliés de l’histoire esquissent le tableau d’une humanité ténébreuse et torturée mais bien vivante, mâtinée d’un christianisme où voisine Marx, Freud et Jésus.