Entre violence et tentatives de sortir de l’ornière, la vie sur le fil d’un gang dans une ville du Niger. Un regard fort et sans jugement sur le quotidien d' »apatrides de l’intérieur », par une réalisatrice originaire de la région.
Tous muscles luisants au guidon de leurs motos pétaradantes, ils paradent dans les rues balayées par le vent. À Zinder, ville de passage au cœur du Sahel nigérien, tout le monde craint les « Palais », les gangs de Kara-Kara, le quartier marginalisé des lépreux et des parias. L’un des plus redoutés se fait appeler « gang Hitler », du nom de « ce guerrier redoutable, américain à ce qu’il paraît ». Ses bannières à croix gammées ne reflètent aucune revendication idéologique, mais sont une simple démonstration de force ostentatoire et de virilisme protecteur. Arborant la panoplie des caïds noirs américains des ghettos, ces laissés-pour-compte, souvent nés en dehors des registres de l’état civil et privés d’éducation, sont fascinés par la violence. Ils y voient une échappatoire à leur désœuvrement et un moyen de se faire respecter par la société qui leur refuse le droit de cité. Pendant que certains tombent dans la criminalité, avec pour perspective la prison ou la mort, d’autres s’activent pour sortir de l’ornière. Les « Hitler », par exemple, veulent monter une société de sécurité privée, mais manquent de moyens…
La vie en contrebande
Elle-même originaire de Zinder, Aïcha Macky fait sortir de l’ombre ces « apatrides de l’intérieur », responsables de la mauvaise réputation de la ville. Elle rencontre Siniya, le chef du gang Hitler qui veut aider ses camarades à s’en sortir, Ramsess, contrebandière en essence, ou Bawo, aujourd’hui taxi-moto, qui tente de se racheter de ses crimes passés en tendant la main aux jeunes et aux prostituées. La réalisatrice donne à voir des stratégies de survie, entre débrouille et tentatives de sortir de l’illégalité, dans un Niger gangrené par la pauvreté et l’absurde (dans l’incapacité d’acheter l’essence raffinée produite par le pays, la population attend son export au Nigeria pour la faire revenir, en contrebande et à bas prix, vers Zinder…). Sans juger ces fiers-à-(gros)-bras accros aux séances d’haltérophilie, aux tactiques de combat et aux vidéos de Boko Haram, ni donner en spectacle la brutalité de leurs existences, elle fait au contraire affleurer ce qu’ils recèlent en eux de dignité. Avec une science éprouvée de l’image (lumière et cadrages superbes) et un regard singulier (gros plans sur leurs cicatrices, allégories de vies marquées par la déveine), elle livre une chronique marquante d’un sous-monde qui risque chaque jour de basculer dans le chaos.
Documentaire d’Aïcha Macky (France/Allemagne/Niger, 2021, 1h23mn)
Rediffusion disponible jusqu’au 03/08/2024