Article | 24 mai 1964 : 328 morts pour un but refusé

Quand on pense au problème de la violence dans les stades et aux funestes conséquences du hooliganisme, on songe surtout à la « catastrophe du Heysel » du printemps 1985, survenue lors de la finale de la coupe d’Europe des clubs champions entre la Juventus et Liverpool.

Cet événement tragique a marqué les esprits en raison du nombre élevé de victimes et de la couverture médiatique intense qu’il a reçue à l’époque. Hélas, cette référence témoigne d’un certain « européocentrisme » car il y a eu des incidents bien plus graves ailleurs, et bien avant cette date.

En effet, le triste record en matière de catastrophes dans les stades remonte à l’année 1964, un événement moins connu mais tout aussi dévastateur en termes de pertes humaines et de chaos.

Ce désastre met en lumière que le hooliganisme et les violences liées au sport ne sont pas des phénomènes récents ni limités à l’Europe, mais des problèmes globaux qui ont eu des répercussions tragiques à travers le monde.

Le match à Lima

Le 24 mai 1964 se déroule à Lima, au Pérou, un match entre les équipes amateur du Pérou et d’Argentine. Ces équipes ne sont pas les représentantes « officielles » des deux pays, car ce match ne fait pas partie d’une compétition organisée par la Fédération internationale de football association (FIFA), fondée en 1904.

Au lieu de cela, le match s’inscrit dans le cadre des qualifications pour les Jeux olympiques de Tokyo, qui se tiendront la même année. À ce stade des qualifications, l’enjeu est énorme : le vainqueur du match décroche son billet pour le Japon.

La rencontre a lieu dans un stade d’une capacité de 45.000 spectateurs, construit en 1952, et est arbitrée par l’arbitre uruguayen Angel Eduardo Payos. L’atmosphère est électrique, les supporters péruviens et argentins sont venus en masse pour soutenir leurs équipes respectives, et l’excitation est palpable alors que le coup d’envoi est donné.

L’annulation du but péruvien

Alors qu’il ne reste que quelques minutes à jouer dans ce match crucial, l’Argentine mène par un but à zéro. C’est alors qu’un ailier péruvien réussit à marquer un but, déclenchant une explosion de joie parmi les supporters péruviens.

Cependant, l’arbitre uruguayen Angel Eduardo Payos annule le but pour une faute qu’il semble avoir imaginée, provoquant une clameur d’indignation dans le stade.

Au milieu des vociférations et des cris de protestation, deux spectateurs, visiblement furieux, descendent sur la pelouse. L’un d’eux, connu localement sous le surnom de « El negro bomba », mène la charge.

Leur incursion sur le terrain incite d’autres spectateurs à faire de même, déferlant sur la pelouse avec l’intention évidente de corriger et probablement de lyncher l’arbitre, qui, sentant le danger, suspend immédiatement le match.

La situation dégénère rapidement alors que des centaines de personnes envahissent le terrain, transformant un moment de sport en une scène de chaos.

La panique et ses conséquences

La police, en essayant de contenir la situation, se concentre sur la tribune Nord, visiblement la plus virulente. Dans une tentative de dispersion, elle lance des grenades lacrymogènes dans les travées. Ce geste, loin de calmer la situation, ne fait qu’amplifier la panique.

Les spectateurs, pris de panique, cherchent désespérément à fuir les gaz irritants. Cependant, les sorties du stade sont situées à l’extrémité de tunnels de béton étroits et encaissés, dont les grilles sont fermées par de solides cadenas. Ces mesures avaient été prises pour empêcher l’entrée des resquilleurs, mais au mépris total des règles de sécurité élémentaires.

Le stade se transforme alors en un véritable chaudron infernal : les femmes et les enfants sont écartés sans ménagement, la foule s’entasse dans les tunnels, et des dizaines de spectateurs sont piétinés et asphyxiés par les gaz lacrymogènes.

Les cris et les pleurs résonnent dans l’enceinte du stade tandis que le chaos s’installe, rendant la situation de plus en plus incontrôlable.

Les violences à l’extérieur du stade

Ceux qui parviennent à s’échapper du stade se retournent alors contre les policiers qui investissent le quartier environnant. Des bandes de malfrats profitent du chaos pour semer encore plus de désordre, et une rumeur de coup d’État commence à se propager, ajoutant à la confusion générale.

La violence se déplace des tribunes aux rues, transformant ce qui avait commencé comme un événement sportif en une véritable émeute. Le gouvernement de Fernando B. Terry, face à cette situation explosive, décrète le lendemain matin l’état de siège pour une durée de trente jours. Cette mesure vise à rétablir l’ordre et à mener une enquête approfondie sur les circonstances du drame.

Ce dernier a également coûté la vie à deux policiers, lynchés par une foule en colère, augmentant encore le bilan humain de cette tragédie. Les jours suivants voient une présence militaire accrue dans les rues de Lima, alors que les autorités tentent de comprendre comment une simple décision arbitrale a pu dégénérer en une telle catastrophe.

Le bilan et les suites de la catastrophe

À l’intérieur du stade, le bilan est lourd : on compte pas moins de 328 morts et 500 blessés. Cette tragédie reste l’une des plus graves dans l’histoire du sport. Malgré ce drame, le match fut officiellement avalisé et l’équipe d’Argentine participa aux Jeux olympiques de Tokyo où elle ne réussit pas à se distinguer.

Suite à la catastrophe, le stade péruvien, réaménagé pour améliorer la sécurité, vit sa capacité réduite à 42.000 spectateurs. Des enquêtes sont menées pour déterminer les responsabilités et des mesures de sécurité plus strictes sont mises en place pour éviter qu’un tel drame ne se reproduise.

Cette tragédie a laissé une marque indélébile dans l’histoire du sport et a servi de rappel brutal des dangers que peuvent entraîner la violence et le manque de mesures de sécurité adéquates dans les événements sportifs.

Les leçons tirées de cette catastrophe ont conduit à des réformes et à une prise de conscience accrue de la nécessité de protéger les spectateurs et de maintenir l’ordre dans les stades.