Article | 1863 – 1900 : destruction du vignoble français par le phylloxera

Le vignoble français, au début du 19ème siècle, présentait un visage bien différent de celui que l’on connaît aujourd’hui. À cette époque, les vignes s’étendaient sur des territoires vastes et parfois inattendus : des vignobles prospéraient non seulement dans les régions traditionnelles, mais également en Île-de-France, en Lorraine, en Auvergne, et même dans la Vienne.

Le territoire viticole s’était agrandi de façon spectaculaire, avec une augmentation de 200 000 hectares cultivés.

L’essor du commerce et l’arrivée de la machine à vapeur

Avec l’avènement de la machine à vapeur, le marché du vin connaissait une nouvelle dynamique. Les échanges commerciaux étaient facilités, permettant de répondre aux attentes d’une clientèle aux goûts encore rustiques.

Cette modernisation du transport permettait aux vignerons d’écouler leurs productions plus facilement et d’élargir leur marché. Cependant, c’est précisément cette intensification des échanges qui fut à l’origine de la catastrophe qui allait frapper le vignoble français.

Une importation fatale : le phylloxéra arrive en France

La propagation du phylloxéra, un puceron ravageur, commence à la suite d’une initiative malheureuse : des botanistes et des pépiniéristes importèrent des pieds de vigne américains pour effectuer des essais de greffe. À l’époque, l’idée semblait prometteuse, mais elle se révéla être une démarche paradoxale.

Ces pieds, résistants à la maladie, étaient en réalité porteurs sains du phylloxéra, un insecte microscopique mais dévastateur. La première manifestation de la maladie apparut dans le Gard et dans la région d’Arles en 1863, avant de s’étendre aux Bouches-du-Rhône quelques mois plus tard.

Une lente propagation et une réaction tardive

L’infection causée par le phylloxéra se propageait de manière insidieuse. Les vignes ne montraient aucun signe visible immédiat, et il fallait attendre environ trois ans pour que les ceps meurent complètement. Lorsque les vignerons déterraient les pieds malades, ils constataient avec effroi que les racines avaient été totalement détruites.

Malgré ces observations alarmantes, il fallut attendre plusieurs années avant qu’une réelle prise de conscience ne se produise. En 1866, les exploitants des régions les plus touchées commencèrent à interpeller les autorités locales, mais les premières mesures sérieuses ne furent prises qu’en 1868, avec la formation d’une commission d’étude.

Les premières tentatives pour comprendre et combattre le fléau

Cette commission était composée de plusieurs experts, parmi lesquels un homme allait jouer un rôle clé dans la compréhension du problème : Jules-Émile Planchon, un botaniste et médecin renommé. Planchon, qui avait enseigné à l’École d’horticulture de Gand, fut le premier à identifier la véritable nature du mal.

Pendant ce temps, les viticulteurs, désemparés, tentaient des méthodes aussi désespérées qu’inefficaces. Les pratiques superstitieuses se multipliaient : on voyait des prières publiques pour la protection des vignes, et des croix bénies par les curés ou les évêques étaient plantées dans les champs.

Des remèdes techniques émergent face à l’invasion du phylloxéra

Alors que les pratiques religieuses et les brevets fantaisistes se multipliaient, certains scientifiques mirent en place des solutions plus pragmatiques.

En 1868, Planchon parvint à identifier l’insecte responsable de la catastrophe, qu’il nomma phylloxera devastatrix, un nom bien mérité étant donné l’ampleur des dégâts. Le phylloxéra était déjà en train de ravager d’autres pays comme la Suisse dès 1871, l’Australie en 1875, et même le Pérou en 1888.

Parmi les remèdes envisagés, l’un des plus efficaces fut l’introduction d’un puissant insecticide, le sulfure de carbone, injecté directement dans le sol pour éradiquer les pucerons. Une autre méthode radicale consistait à submerger les vignes dans l’eau pour noyer les insectes responsables de la destruction des racines.

Ces techniques permirent de ralentir la progression de la maladie, mais elles n’étaient pas suffisantes pour restaurer durablement le vignoble français.

Le salut par la greffe des pieds américains

Planchon, en collaboration avec un collègue américain, Charles Valentine Riley, proposa une solution révolutionnaire et durable : l’utilisation des pieds de vigne américains. Bien que ces pieds fussent porteurs du phylloxéra, ils étaient naturellement résistants aux attaques de l’insecte.

L’idée était donc de les utiliser comme porte-greffes pour les vignes françaises. Ainsi, seules les racines américaines, résistantes au phylloxéra, seraient conservées, tandis que les cépages français continueraient à produire le raisin.

Un long processus de reconstruction

La reconstitution du vignoble français fut un processus long et coûteux. Ce n’est qu’aux alentours de 1900 que l’opération de replantation fut considérée comme achevée. Cependant, le prix à payer fut extrêmement élevé.

Les pertes économiques liées à la destruction du vignoble par le phylloxéra furent estimées à 12 milliards de francs d’avant 1914, une somme comparable à celle des coûts engendrés par la guerre de 1870. La reconstruction du vignoble permit néanmoins de sauver une tradition viticole millénaire, même si le visage du vignoble français avait, à jamais, été transformé.