En juillet 1518, la ville de Strasbourg fut le théâtre d’un événement étrange et inexplicable, dont les répercussions résonnent encore aujourd’hui dans les annales de l’histoire. Tout a commencé lorsqu’une femme, connue sous le nom de Frau Troffea, se mit à danser frénétiquement dans les rues pavées de la ville.
Au début, on aurait pu penser qu’il s’agissait d’une simple excentricité ou d’un moment de folie passagère, mais la réalité allait se révéler bien plus troublante. Jour après jour, Frau Troffea continuait à danser sans s’arrêter, sans sembler ressentir ni fatigue ni besoin de repos. Son comportement étrange attira rapidement l’attention des passants et des voisins, qui, intrigués, se rassemblèrent autour d’elle pour observer cette scène surréaliste.
Peu à peu, comme par un effet de contagion mystérieuse, d’autres habitants de Strasbourg se joignirent à elle, pris d’une irrépressible envie de danser. Ils dansaient sans relâche, leurs corps se mouvant de manière frénétique, comme s’ils étaient sous l’emprise d’une force invisible et incontrôlable. Cette scène, qui aurait pu être anecdotique, prit une ampleur incroyable lorsque des dizaines, puis des centaines de personnes furent touchées par cette étrange fièvre dansante.
Les chroniques de l’époque décrivent une ville en proie à une véritable épidémie de danse, une folie collective qui défiait toute explication rationnelle. Les danseurs semblaient incapables de s’arrêter, même lorsque leurs pieds saignaient et que leurs corps s’effondraient d’épuisement. Ils étaient comme possédés, animés par une énergie inextinguible qui les poussait à danser jusqu’à la limite de leurs forces.
Ce phénomène inhabituel sema la panique parmi la population, qui ne savait comment réagir face à cette contagion inexplicable. Les rues de Strasbourg, habituellement paisibles, résonnaient des pas frénétiques et des gémissements des danseurs épuisés, créant une atmosphère à la fois fascinante et terrifiante.
La réaction des autorités
Face à cette situation aussi inédite qu’inquiétante, les autorités locales furent plongées dans la perplexité. Jamais auparavant la ville n’avait été confrontée à un tel phénomène, et les solutions traditionnelles semblaient inefficaces.
Dans une tentative de ramener le calme et l’ordre, les responsables municipaux prirent une décision qui, rétrospectivement, peut sembler surprenante : ils pensèrent que la meilleure solution était de fournir aux danseurs plus d’espace pour s’exprimer. Ils firent donc ériger une scène en plein cœur de la ville et engagèrent des musiciens pour accompagner les danseurs, croyant naïvement que cette stratégie aiderait à évacuer ce besoin irrépressible de danser.
Cependant, cette décision n’eut pas l’effet escompté. Au contraire, le nombre de danseurs augmenta encore de manière exponentielle. Les témoignages de l’époque parlent de centaines de personnes dansant sans relâche, au point que certains s’effondrèrent de fatigue, et d’autres succombèrent à des crises cardiaques ou à des accidents vasculaires cérébraux.
La scène montée pour accueillir les danseurs devint le centre d’un spectacle macabre où la vie et la mort se jouaient en temps réel. Les rues de Strasbourg se transformèrent en une vaste piste de danse chaotique où régnait une ambiance de confusion et de désespoir. Les habitants, désemparés, observaient leurs proches se livrer à cette danse mortelle, impuissants face à cette épidémie qui semblait défier toutes les lois de la nature et de la raison.
Les autorités, bien que de bonne foi, se retrouvèrent rapidement dépassées par les événements. Leur tentative de contenir la crise par des moyens conventionnels échoua lamentablement, révélant l’ampleur de leur incompréhension face à ce phénomène mystérieux. Les médecins de l’époque, convoqués en urgence, furent tout aussi déconcertés, incapables de fournir une explication cohérente ou un traitement efficace pour stopper cette vague de danse frénétique.
Les explications médicales et spirituelles
Les explications pour ce phénomène étrange et inquiétant furent variées et souvent contradictoires. Les médecins de l’époque, armés des connaissances limitées de la médecine médiévale, avancèrent diverses théories pour tenter de comprendre cette épidémie de danse. Certains évoquèrent un déséquilibre des humeurs, une théorie médicale courante à l’époque, suggérant que les danseurs souffraient d’une surcharge de sang ou de bile noire, provoquant ainsi une fièvre chaude qui les poussait à danser.
D’autres médecins, plus pragmatiques, évoquèrent la possibilité d’un empoisonnement alimentaire, peut-être causé par la consommation de seigle contaminé par l’ergot, un champignon hallucinogène bien connu pour ses effets psychotropes.
Les prêtres et théologiens, quant à eux, interprétèrent ce phénomène à travers le prisme de la religion et de la spiritualité. Beaucoup virent dans cette danse frénétique une forme de punition divine, une manifestation de la colère de Dieu contre les péchés de la population. D’autres allèrent plus loin, suggérant que les danseurs étaient possédés par des démons, et que seule une intervention spirituelle pourrait les libérer de cette emprise maléfique.
Des processions religieuses furent organisées, des prières ferventes furent récitées, et des reliques sacrées furent brandies dans l’espoir de chasser les esprits maléfiques qui semblaient tourmenter les danseurs.
Certains historiens modernes, avec le recul et les avancées de la science, ont proposé des explications différentes pour cet épisode de danse frénétique. L’une des hypothèses les plus couramment avancées est celle de l’empoisonnement par l’ergot de seigle, un champignon hallucinogène qui pousse sur les céréales et qui est à l’origine du LSD. Selon cette théorie, la consommation de pain contaminé aurait pu provoquer des hallucinations collectives et des comportements anormaux.
D’autres théories incluent des explications sociopsychologiques, suggérant que la danse de 1518 était une forme de hystérie collective induite par les conditions de vie stressantes et les croyances religieuses profondément ancrées de l’époque. Les habitants de Strasbourg, vivant dans une période de famine, de maladie et de guerre, auraient pu réagir à ce stress intense par une éruption de comportement collectif irrationnel.
La fin de la frénésie
Après plusieurs semaines de cette folie dansante, la situation commença finalement à se calmer. Les autorités, réalisant que leur stratégie initiale n’était pas efficace, décidèrent de changer d’approche. Ils se tournèrent vers la religion, espérant que la foi pourrait accomplir ce que la raison et la science avaient échoué à faire. Les danseurs furent emmenés en procession au sanctuaire de Saint Vitus, le saint patron traditionnellement invoqué contre les troubles nerveux et les maladies mentales.
Les danseurs furent transportés à l’église de Saverne, où ils prièrent et reçurent des reliques sacrées. Le rituel religieux, combiné à l’épuisement physique des danseurs, sembla finalement avoir un effet apaisant. Peu à peu, la danse frénétique prit fin, laissant les habitants de Strasbourg épuisés mais soulagés. La ville, après avoir été plongée dans un chaos indescriptible, commença lentement à retrouver un semblant de normalité.
Les récits de l’époque décrivent un retour progressif au calme, les danseurs reprenant peu à peu leurs esprits et leurs activités quotidiennes. Toutefois, cette période de danse frénétique laissa une marque indélébile dans la mémoire collective de Strasbourg. Les habitants restèrent longtemps hantés par le souvenir de cette épidémie inexplicable, se demandant ce qui avait bien pu provoquer une telle folie.
Les prêtres, les médecins et les autorités continuèrent à débattre des causes et des significations de cet événement longtemps après qu’il eut pris fin.
Une énigme historique
L’épisode de la danse de Strasbourg de 1518 reste une énigme historique, un phénomène qui défie encore aujourd’hui les explications simples et directes. Cet événement unique en son genre a laissé une marque indélébile dans les annales de la ville et continue de fasciner les historiens, les scientifiques et le grand public.
Qu’il s’agisse d’une hystérie collective, d’un empoisonnement ou d’une expression spirituelle, cette période de danse frénétique témoigne des mystères de l’esprit humain et des réactions collectives face à l’adversité. La danse de 1518 est un rappel de la complexité de l’histoire et de la capacité humaine à répondre aux crises de manière imprévisible et parfois inexplicable.